L’addiction à l’exercice physique
L’addiction à l’exercice physique
Dan VÉLÉA
– Auriez un questionnaire pour détecter l’addiction au sport chez l’individu, ou alors des questions que vous utilisez pour vos diagnostics?
Critères de la dépendance à l’exercice
(D. Veale, 1991)
- Réduction du répertoire des exercices physiques conduisant à une activité physique stéréotypée, pratiquée au moins une fois par jour.
- L’activité physique est plus investie que tout autre.
- Augmentation de la tolérance de l’intensité de l’exercice, d’année en année.
- Symptômes de sevrage avec tristesse lors de l’arrêt (volontaire ou contraint) de l’exercice physique.
- Atténuation ou disparition des symptômes de sevrage à la reprise de l’exercice.
- Perception subjective d’un besoin compulsif d’exercice.
- Réinstallation rapide de l’activité compulsive après une période d’interruption.
- Poursuite de l’exercice physique intense en dépit de maladies physiques graves causées, aggravées ou prolongées par le sport. Négligence des avis contraires donnés par les médecins ou les entraîneurs.
- Difficultés ou conflits avec la famille, les amis ou l’employeur liés à l’activité sportive.
- Le sujet s’oblige à perdre du poids en suivant un régime, pour améliorer ses performances.
Le principe de l’addiction à l’exercice physique tient dans l’usage d’une situation routinière (la pratique d’un geste répétitif, sans satisfaction immédiate), afin d’obtenir une augmentation de l’estime de soi, à travers une multitude d’effets physiques et psychiques. Dans le cas des coureurs de fond, le remplacement de la dépendance au tabac était immédiatement bénéfique. Dans le cas des dépendants aux exercices physiques de type body-building, stretching, l’essentiel réside dans l’appropriation de ce style de vie sportif qui devient la seule manière de vivre (la plupart de pratiquants intensifs du body-building se retrouvent souvent à faire leur métier).
Il existe à l’heure actuelle plusieurs échelles d’évaluation de cette nouvelle addiction dont nous vous proposons celle qui s’adresse aux coureurs de fond et aux body-builders.
Running Addiction Scale
(Champan et Castro, 1990)
- Je cours très souvent et régulièrement (+ 1)
- Si le temps est froid, trop chaud, s’il y a du vent, je ne cours pas (- 1)
- Je n’annule pas mes activités avec les amis pour courir (- 1)
- J’ai arrêté de courir pendant au moins une semaine pour des raisons autres que des blessures (- 1)
- Je cours même quand j’ai très mal (+ 1)
- Je n’ai jamais dépensé d’argent pour courir, pour acheter des livres sur la course, pour m’équiper (- 1)
- Si je trouvais une autre façon de rester en forme physique je ne courrais pas (- 1)
- Après une course je me sens mieux (+ 1)
- Je continuerais de courir même si j’étais blessé (-1)
- Certains jours, même si je n’avais pas le temps, je vais courir (+ 1)
- J’ai besoin de courir au moins une fois par jour (+ 1)
Critères de dépendance au body-building
(D. Smith, 1998)
- Je m’entraîne même quand je suis malade ou grippé.
- Il m’est arrivé de continuer l’entraînement malgré une blessure.
- Je ne raterais jamais une séance d’entraînement, même si je ne me sens pas en forme.
- Je me sens coupable si je rate une séance d’entraînement.
- Si je rate une séance, j’ai l’impression que ma masse musculaire se réduit.
- Ma famille et/ou mes amis se plaignent du temps que je passe à l’entraînement.
- Le body-building a complètement changé mon style de vie.
- J’organise mes activités professionnelles en fonction de mon entraînement.
- Si je dois choisir entre m’entraîner et travailler, je choisis toujours l’entraînement.
– Selon vous,qu’est-ce que la bigorexie ?
Il s’agit d’une addiction sans drogue, addiction comportementale qui consiste en une pratique de l’exercice physique excessive, sans limite de temps et de condition physique, avec perte d’autres centres d’intérêts
– Quels sont les stades du développement de l’addiction ?
Le concept d’addiction positive, crée en 1976 par Glasser[1], est issu d’une observation de longue durée des athlètes de haut niveau pratiquant régulièrement un exercice physique, mais aussi des coureurs occasionnels. Glasser décrit ainsi une addiction à la pratique sportive, qu’il qualifie de positive afin de la distinguer des addictions classiques considérées comme négatives – alcool, drogues… Dans sa conception, la poursuite d’une activité physique (initialement la course à pied, mais par extrapolation on peut inclure la plupart des pratiques sportives) devient addiction par dépassement d’un effet seuil d’ennui, de fatigue, de lassitude. Parmi les facteurs qui renforcent le côté « addictogène » de la pratique sportive on rencontre – la libération de l’endorphine et le bien-être lié à cette libération (phénomène souvent décrit chez les coureurs de fond et les marathoniens), l’augmentation d’une forte estime de soi (prise de conscience de ses capacités physiques et d’endurance, le constat des modifications corporelles qui implique aussi la description d’une composante dysmorphophobique récurrente chez les body-builders).
Un aspect souvent rencontré chez les addictés à l’exercice physique, aspect rarement remarqué, est celui des changements dans la vie quotidienne (vestimentaires, alimentaires, dans le mode de vie, dans les loisirs qui deviennent quasiment liés à la pratique sportive – fréquentation des manifestations sportives, des salons, le choix d’un partenaire souvent issu du même milieu pratiquant). L’entraînement devient un véritable rituel pour le sportif.
On peut situer le développement du concept d’addiction à l’exercice dans le contexte culturel de l’image corporelle et du « culte de la performance[2] ». On est actuellement en train de constater l’importance des troubles dysmorphophobiques chez des patients qui présentent une addiction au sport (beaucoup de joggers ou de body-builders). Les Anglo-Saxons décrivent même un « complexe d’Adonis » caractérisé entre autre par un haut degré de pratique sportive et par des préoccupations fréquentes liées à son image (soins du visage et du corps de manière excessive, des choix vestimentaires valorisants, se regarder dans la glace sans cesse à la recherche de la moindre imperfection et la panique qui découle de la découverte d’un tel signe inquiétant…).
– Est-ce une maladie multi-factorielle ?
Oui les individus présentent souvent des troubles narcissiques, une mauvaise estime de soi, un besoin permanent de dépassement et de challenges. Pour certains, comme toute autre addiction, la bigorexie représente une forme d’auto-thérapie face au al de vivre ressenti par ces personnes.
– Comment cette addiction est-elle traitée ?
Prise de conscience des troubles sous-jacents, méthode de coaching pour la réduction de la pratique (pas forcement l’arrêt du sport), retrouver d’autres plaisir et stimuler d’autres centres d’intérêts.
– Peut-on la prévenir ?
Education et prevention vont ensemble. Avertir contre les risques d’une pratique trop excessive et aider déjà les gens à stimuler d’autres centres d’intérêts.
[1] GLASSER W, Positive addiction, Harper Collins, 1985
[2] EHRENBERG A : Le culte de la performance, Calman-Levy, Paris, 1991