Lilian Dammartin
Lilian, le jeune homme qui s’est retrouvé piégé dans l’imprimerie, à Dammartin-en Goële, où les frères Kouachi étaient retranchés, a fait preuve d’un incroyable instinct de survie.
Lors de son interview sur France 2, nous apprenons les circonstances de l’arrivée des terroristes et du geste de courage héroïque de son patron, qui a retardé les deux frères, afin de permettre à Lilian de se cacher. On peut difficilement imaginer son sentiment, quand il est resté, pendant 8 heures, dans l’inconfort, dans l’insécurité et la peur d’une mort imminente.
Dans cette situation, les réactions sensitives et sensorielles sont amplifiées. La peur envahit le sujet, mais le plus important, et Lilian nos le montre parfaitement, c’est l’instinct de survie qui a pris le relais.
En psychologie expérimentale, nous avons observé cet instinct de survie grâce à des expériences d’enfermement, qui ont révélé un sentiment de désorientation spatio-temporelle, de perte totale de repères (expériences effectuées dans un but de recherche pour des spéléologues). Sauf que dans ces expériences, la notion de danger de mort était absente, la finalité de l’exercice étant d’analyser les réactions des sujets, avec une surveillance et une protection particulière. Lors de ces expériences, les sujets, tous volontaires et bien entraînés, connaissaient le dérolé de l’expérience. Les réactions psycho-sensorielles, suivies, enregistrées et monitorisées ont démontrés que dans ces situations extrêmes, les sens et la capacité d’adaptation sont très sollicitées, avec des réactions aigues, sur un mode défensif. L’instinct de survie est omniprésent, le sujet arrivant facilement à doser ses efforts, à économiser ses forces et à se concentrer sur toute modification dans son espace. Les expériences les plus éprouvantes ont celles ayant demande une désafférentation sensorielle – pas de bruit, pas lumière et aucun mouvement perceptible. Sur un autre registre, les témoignages des anciens déportés dans les camps, comme ceux des survivants des crash et des naufrages, démontrent un éveil supplémentaires de l’instinct de survie, avec des sens aiguisés. Il est constant de remarquer que les phases d’euphorie alternent sur un cycle rapide avec les phases désespoir, mais toujours, l’instinct de survie donne à ces personnes la capacité de lutter et de se dépasser au-delà des limites imaginables. On assiste aussi, dans des situations extrêmes, à des tableaux cliniques de dissociation – déni de la réalité, refuge dans un univers parallèle, trouble identitaire et de la personnalité.
Se rajoute à cela la sur-sollicitation psycho-sensorielle (le balai incessant des hélicoptères, les échanges de coups de feu entre les terroristes et les forces de l’ordre, la présence à quelques centimètre de l’un des agresseurs). Mais surtout, pendant quelques heures, la totale incertitude concernant l’extérieur. Pour citer Lilian : « …on a le cerveau qui arrête de penser, le cœur qui arrête de battre, le souffle qui se coupe, et on attend, parce que c’est la seule chose à faire”.
En effet, dans le petit enclos, les mouvements pouvaient être détectés par les deux agresseurs et ce n’est qu’au bout d’un laps de temps interminable que le jeune Lilian a pu prendre contact avec l’extérieur et donner de ses nouvelles. A partir de ce moment, le désespoir laisse place à la confiance et aux espoirs que les sauveteurs seront présents. La notion si abstraite de survie prend une autre dimension, et Lilian le dit lui-même a eu le moral remonte.
Il fait preuve d’un sang froid et d’une lucidité extraordinaire qui représentent un fort instinct de survie car il va être capable de fournir les renseignements les plus précieux aux forces de l’ordre.
Après les prises d’otages, les spécialistes sont confrontés, lors des entretiens avec les survivants, à l’apparition d’une autre forme d’instinct de survie, avec le syndrome de Stockholm. Ce syndrome désigne des réactions comportementales paradoxales de la part des otages qui ont développé une véritable empathie envers leurs agresseurs. Il s’agit de modalités psychiques d’adaptation (coping, issu du verbe anglais to cope, faire face) aux différentes situations traumatiques.
A la base de ce tableau psychologique se trouvent des mécanismes complexes d’identification, sur un mode de régression affective et d’aliénation à l’image de l’agresseur, qui devient aux yeux de ces victimes la seule protection face à un milieu devenu soudainement hostile.
La perte de repères, le besoin de survie, lient les otages dans un lien très fort à leurs agresseurs, avec des réactions excessives allant pour certains à l’adoption du mode de fonctionnement et de pensées des agresseurs, des réactions de défense lors des assauts donnés par la Police.
Dans une lecture psychanalytique de ce phénomène, il s’agit d’une manifestation de l’inconscient visant la survie. L’otage essaie de s’attirer la sympathie de son agresseur afin de sauver sa vie. On peut traduire ainsi, doublé d’un fort instinct de survie et d’une énorme capacité d’adaptation le geste de cet héros modeste qui est le chef de Lilian, qui par ses gestes apaisants – offrir du café, soigner une blessure – a su au moment opportun susciter l’indulgence de ces agresseurs. Dans une lecture cognitive on observe un changement dans le mode de pensée du sujet, qui accepte et cautionne les thèses de son agresseur, et sur un mode comportemental on assiste à cette adaptation visant à se protéger.
Parmi les conséquences psychiques, les victimes de prises d’otages peuvent des signes de PTSD (Stress Post-Traumatique). Les signes classiques sont la reviviscence de la scène traumatique (ou des cauchemars), aux moindres suggestions et souvenirs (être témoin d’agressions, le bruit assimilé aux balles, des cris, des images violentes). Souvent, apparaissent des attitudes contre-phobiques (évitements, fuites) et beaucoup d’irritabilité. Les thérapeutes devront faire assez souvent des débriefings, à visée anxiolytique et contre-phobique, en faisant attention aux éventuelles réactions de « faux souvenir ». Il peut aussi se développer un sentiment de culpabilité (avec le questionnement classique pourquoi j’ai survécu).
Pourtant, dans beaucoup de cas, un travail psychothérapeutique et d’accompagnement bien conduits, diminuent ces éventuelles conséquences négatives, les processus intrapsychiques de défense (le refoulement) permettant aussi de pouvoir vivre avec ces événements. Ces adaptations sont facilitées par le processus de coping (faire face).