Dammartin

Après les prises d’otages, les spécialistes sont confrontés, lors des entretiens avec les survivants, à l’apparition du syndrome de Stockholm.  Ce syndrome désigne des réactions comportementales paradoxales de la part des otages qui ont développé une véritable empathie envers leurs agresseurs. Il s’agit de modalités psychiques d’adaptation (coping, issu du verbe anglais to cope, faire face) aux différentes situations traumatiques.

A la base de ce tableau psychologique se trouve des mécanismes complexes d’identification, sur un mode de régression affective et ‘aliénation à l’image de l’agresseur, qui devient aux yeux de ces victimes la seule protection face à un milieu devenu soudainement hostile.

La perte de repères, le besoin  et de survie, lient les otages dans un lien très fort à ses agresseurs, avec des réactions excessive allant pour certains à l’adoption du mode de fonctionnement et de pensées des agresseurs, des réactions de défense lors des assauts donnés par la Police.

Dans une lecture psychanalytique de ce phénomène, il s’agit d’une manifestation de l’inconscient visant la survie. L’otage essaie de s’attirer la sympathie de son agresseur afin de sauver sa vie. Dans une lecture cognitive on observe un changement dans le mode de pensée du sujet, qui accepte et cautionne les thèses de son agresseur, et sur un mode comportemental on assiste à cette adaptation visant à se protéger.

Parmi les conséquences psychiques, les victimes de prises d’otages peuvent des signes de PTSD (Stress Post-Traumatique). Les signes classiques sont la reviviscence de la scène traumatique (ou des cauchemars), au moindre suggestion et souvenir (être témoin d’agressions, le bruit assimilé aux balles, des cris, des images violentes). Souvent, apparaissent des attitudes contre-phobiques (évitements, fuites) et beaucoup d’irritabilité. Les thérapeutes devront faire assez souvent des débriefings, à visée anxiolytique et contre-phobique, en faisant attention aux éventuelles réactions de « faux souvenir ». Il peut aussi se développer un sentiment de culpabilité (avec le questionnement classique pourquoi j’ai survécu).

Pourtant, dans beaucoup de cas, un travail psychothérapeutique et d’accompagnement bien conduits, diminuent ces éventuelles conséquences négatives, les processus intrapsychiques de défense (le refoulement) permettant aussi de pouvoir vivre avec ces événements. Ces adaptations sont facilitées par le processus de coping (faire face).

Lors des situations sanglantes de la semaine dernière, nous avons assisté à des événements sanglants, susceptibles d’effrayer la population de décrédibiliser la confiance de la population dans les forces de l’ordre et de l’exécutif, vu par la plupart des gens comme incapables de le protéger. C’était, au-delà de l’aspect idéologique et les justifications fournies par les terroristes, le but ultime de leurs opérations sanglantes.

Une véritable psychoses s’est installée dans la population, fragilisée par ces attaques, visant des civils mais aussi des forces de l’ordre. On a vu des réactions de peur, des réactions excessives criant vengeance mais aussi désarroi.

Dans ce contexte, la traque des premiers terroristes était vécue à bout de souffle, transmise par les médias et par les réseaux sociaux. Le lâche assassinat de la jeune policière municipale qui a suivi le lendemain a renforcé ce sentiment d’impuissance et la peur.

Le vendredi, l’annonce de la localisation et de l’imminent assaut des forces de l’ordre a été doublée de l’annonce de la tuerie de l’épicerie parisienne, avec des informations souvent contradictoires, mais souvent effrayantes.

Nous pouvons imaginer et décrire (toujours sur un mode subjectif) le sentiment du jeune homme (que je me permets d’appeler par son prénom) qui s’est trouvé piégé dans l’imprimerie de Dammartin. Lors de son interview, nous apprenons les circonstances de l’arrivée de ces agresseurs et du geste de courage héroïque de son patron, qui a retardé les deux frères, afin de permettre à Lilian de se cacher. On peut difficilement imaginer le sentiment du jeune Lilian, dans le confort, dans l’insécurité et la peur d’une mort imminente.

Dans cette situation, les réactions sensitives et sensorielles sont amplifiées. La peur envahit le sujet, mais le plus important, et Lilian nos le montre parfaitement, c’est l’instinct de survie qui a pris le relais. En psychologie expérimentale nous connaissons les expériences d’enfermement et le sentiment de désorientation spatio-temporelle, de perte totale de repères (expérience effectuées dans un but de recherche pour des spéléologues). Sauf que dans ces expériences, la notion de danger de mort était absente, la finalité de l’exercice étant d’analyser les réactions des sujets, avec une surveillance et protection particulière.

Un élément qui se rajoute est celui de la sur sollicitation psycho-sensorielle (le balai incessant des hélicoptères, les échanges de coup de feu entre les terroristes et les forces de l’ordre, la présence à quelques centimètre de l’un des agresseurs), mais surtout, pendant quelques heures la totale incertitude concernant l’extérieur. Pour citre Lilian « …on a le cerveau qui arrête de penser, le cœur qui arrête de battre, le souffle qui se coupe, et on attend, parce que c’est la seule chose à faire ». En effet dans le petit enclos, les mouvements pouvaient être détectés par les deux agresseurs et ce n’est qu’au bout d’un laps de temps interminable que le jeune Lilian a pu prendre contact avec l’extérieur et donner de ses nouvelles. A partir de ce moment, la notion de désespoir laisse place à la confiance et aux espoirs que les sauveteurs seront présents. La notion si abstraite de survie prend une autre dimension, et Lilian le dit lui-même le moral remonte. Il fait preuve d’un sang froid et d’une lucidité extraordinaire car il va être capable de fournir les renseignements les plus précieux aux forces de l’ordre. Il est aussi important de saluer le professionnalisme de ces derniers qui ont su filtrer les infos, rassurer Lilian et surtout pouvoir le protéger lors de l’assaut contre les terroristes.

Pour finir, il aurait été souhaitable que lors de la manifestation de soutien aux victimes, Lilian, son employeur, les parents et les survivants, soient avec les forces de l’ordre à la place d’honneur, pour saluer leur courage, l’abnégation de tous ces héros souvent anonymes.

Docteur Dan VELEA
Psychiatre-addictologue
Le Docteur Dan VELEA, médecin psychiatre-addictologue-psychothérapeute est installé rue de Rennes dans le 6ème arrdt. à Paris.
Me contacter