Travail
Dans une étude américaine sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (lire ici : http://www.workfront.com/wp-content/uploads/sites/5/2015/04/workfront-work-life-imbalance-report.pdf), 40% des employés interrogés ne voient pas d’inconvénient à lire leurs e-mails professionnels en rentrant à la maison. Au-delà des contraintes de leur travail, qu’apporte aux travailleurs la lecture de leurs messages professionnels en dehors des heures de bureau ?
Selon une enquête de l’institut Gallup menée en 2014 (lire ici : http://www.gallup.com/poll/168794/workers-upside-staying-connected-work.aspx), 86% de ces employés qui consultent fréquemment leurs e-mails professionnels à la maison y voient de nombreux bénéfices pour leur développement personnel. Y-a-t-il une satisfaction personnelle à rester connecté à son travail, même si ce n’est pas nécessaire ? Est-on en présence d’un mécanisme psychologique similaire à celui des addictions ?
Il existe deux cas majeurs – en premier, celui des travailleurs perfectionnistes en quête d’une reconnaissance professionnelle à tout prix, prêt à des sacrifices personnels, avec des plans de carrières parfaitement tracé, victimes aussi du culte de la performance qui caractérise nos sociétés et d’une anxiété de performance tout au long de leurs vie scolaire et professionnelle. Le deuxième cas de figure est celui de ceux qui trouvent dans le refuge dans le travail excessif un remède face à leur anxiété existentielle, une véritable auto-thérapie.
On connaît tous le concept d’épuisement professionnel, mais il existe aussi des signes annonciateurs prédictifs de la vulnérabilité et de la fragilité des individus, le burn-in. Ce tableau regroupe des signes prédictifs – absence de vacances, de vie privée, d’activité de loisir, des signes cliniques comme l’irritabilité, la fatigabilité extrême.
Dans le cas des 40 des travailleurs qui sont prêts à continuer leur journée de travail même pendant le temps de repos, il existe une partie de ceux qui peuvent déjà se reconnaître dans le tableau susmentionné. Parmi ces personnes, ceux qui font part d’une satisfaction à titre privé dans ce contexte de surinvestissement professionnel, doivent nous interroger sur les mécanismes de satisfaction compensatoire face à leur vide affectif et pour certains une véritable mise en danger.
Il suffit de rappeler le syndrome de Karoshi au Japon, syndrome de ceux qui meurent sur leur lieu de travail par surmenage (environ 45.000 de personnes, jugées en bon état de santé lors des visites de médecine du travail dans les mois précédents). On est face au meilleur exemple de logique communautariste ou l’individu et ses facteurs personnels doivent s’effacer face aux exigences du groupe.
Évidement il est envisageable de parler de l’apparition d’une véritable addiction au travail, le facteur commun avec les addictions étant la centration – focalisation sur un seul et unique centre d’intérêt – le travail au détriment d’autres activités et centres d’intérêts.
Concrètement, que se passe-t-il dans le cerveau du travailleur obsédé par ses mails professionnels ?
L’étude du système de récompense dopaminergique (SRD) – a été réalisée en premier par Olds et Milner en 1954. L’hypothèse de base fût celle de l’existence dans le cerveau d’un système de récompense dont la stimulation produirait une satisfaction cérébrale. La dopamine est impliquée dans le contrôle des conduites affectives, dans la régulation des émotions et surtout du plaisir. Ce schéma est valable pour les substances psychoactives (héroïne, cocaïne, D-9 tétra-hydrocannabinol), mais aussi des comportements addictifs (sport, travail, jeu, sexe).
Pour les workahoolics – addicts au travail – la stimulation du SRD expliquent donc le comportement répétitif, en augmentation quantitative et intensité. L’exemple de la consultation de ces mails de manière frénétique vient illustrer parfaitement le rôle du SRD. Bien évidement il ne faut pas oublier qu’il existe – dans toutes les addictions – une intrication et complémentarité entre cet aspect neurobiochimique et les aspects comportementaux
Y-a-t-il des profils de personnalité plus enclins à cette tendance ?
Les personnalités fréquemment rencontrés chez ce type de travailleurs sont les personnalités perfectionnistes, à la recherche d’une reconnaissance professionnelle, des performances. On rencontre aussi les personnalités anxieuses – évitantes, des personnes minées par la crainte de ne pas être à la hauteur, de se faire remarquer dans un mauvais sens dans leur entreprise, des gens qui adhérent au team spirit même au détriment de leur vie privée.
Les Américains travaillent en moyenne 3 heures de plus par semaine que les Européens mais ils entrecoupent leurs journées professionnelles par des activités personnelles. Leur vie professionnelle déborde alors sur leur vie privée tout comme leur vie privée déborde sur leur vie professionnelle. Et une étude d’Harvard montre qu’ils sont plus heureux que les employés Européens (lire ici :http://people.hmdc.harvard.edu/~akozaryn/myweb/docs/final_work_to_live.pdf). L’absence de frontières inamovibles entre vie professionnelle et vie privée ne peut-elle pas être bénéfique ?
Pourtant les constats des cliniciens, des sociologues du travail vont dans le sens d’une nécessité absolue des moments de repos et de détente, de moments de break et de déconnexion. Le risque majeur de l’effacement des frontières est le burn-out et l’incapacité du salarié d’accomplir ses tâches, donc finalement un manque important en terme de gain pour l’entreprise.